Martianus Capella le libyen théoricien des Arts

 

Martianus Minneus Felix Capella est un auteur latin du ve siècle, dont la vie n’est connue que par quelques détails tirés de son œuvre encyclopédique, les Noces de Philologie et de Mercure (en latin, De nuptiis Philologiae et Mercurii) (entre 410 et 429) : en dehors des hypothèses biographiques fournies par quelques passages de cette encyclopédie allégorique en neuf livres, il n’y a aucune trace historique de l’auteur. Il est natif de Madaure (“Mdaoroch” en libyen), commune de l’actuelle Souk Ahras en Algérie. Le cratère lunaire Capella est nommé en son honneur. Ami de Saint Augustin d’Hippone, de religion libyque mais ouvert d’esprit, sympathisant avec plusieurs amis chrétiens, il est né dans la même ville que le nom moins illustre Apulée. 

Ses études à Carthage ont rendu l’auteur libyen romanisé très proche de cette ville au point que le doute règne quand à sa naissance en citée punique. Martianus est probablement né à Carthage. Il y a certainement été éduqué et y a passé la plus grande partie de sa vie ainsi que l’atteste l’adjectif Afer Carthaginensis (« Africain de Carthage ») qui suit le nom de l’auteur dans la plupart des titres et des souscriptions des manuscrits. Cette origine est confirmée par le texte lui-même : dans les derniers vers de l’œuvre, qui servent en quelque sorte de signature, Martianus met en scène la divinité allégorique Satura, qui représente le genre littéraire de la satire ménippée et censée lui avoir inspiré tout ce récit ; Satura dresse alors une sorte de portrait de Martianus, dans lequel elle déclare : « toi que vit grandir l’heureuse cité d’Elissa ». Or, Elissa est le nom phénicien de Didon, mythique Reine de Carthage.

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Outre la question des dates, la question de la religion de Martianus a fait couler beaucoup d’encre. Certains se sont appuyés sur une mention de Martianus par Grégoire de Tours (qui le cite comme Martianus noster) pour affirmer que Martianus était chrétien. Toutefois, on peut repérer dans l’ensemble du texte de Martianus tout un réseau de détails permettant de faire de Martianus un représentant de ce que P. de Labriolle a appelé, dans un ouvrage désormais classique, la « réaction païenne ». De fait, Martianus semble très influencé par un néoplatonisme marqué par une tendance au mysticisme et aux pratiques théurgiques et magiques (dans la lignée de ce que l’on trouve par exemple chez Jamblique), et l’ascension de Philologie de la Terre à la Voie lactée, présentée dans le livre II, semble reproduire les étapes d’une initiation aux mystères. L’intérêt porté par Martianus à l’etrusca disciplina confirme par ailleurs cette hypothèse (le recours à l’antique religion étrusque constituait en effet, dans l’antiquité tardive, un moyen de résister contre le triomphe du christianisme). On peut donc voir en Martianus un adepte du mysticisme, et d’une forme d’« hermétisme platonisant » intimement lié à la « réaction païenne » du ve siècle.

 

On caractérise souvent l’œuvre de Martianus par son étrangeté : Martianus Capella cherche en effet, dans les neuf livres du De Nuptiis, à présenter une somme de connaissances aussi bien littéraires que scientifiques, à travers une sorte de récit mythologique, tout en mêlant des développements en prose et des passages poétiques.

À la lecture de Martianus Capella, on éprouve de prime abord une impression d’étrangeté, tant son style semble marqué par une recherche de l’hapax et de la uariatio. Cette « prose fleurie », souvent inspirée d’Apulée, et en particulier de l’Âne d’or, comme l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs, est entrecoupée de passages versifiés, dans lesquels Martianus utilise au total quinze mètres différents, avec une grande maîtrise (contrairement à ce que laisseraient entendre certains lieux communs sur cette époque parfois qualifiée de « décadence »).

On peut approfondir ces considérations quelque peu superficielles en comprenant les préoccupations littéraires qui constituent le fil directeur des Noces : Martianus Capella se situe en effet exactement dans le genre littéraire de la satire Ménippée, qui se caractérise par le mélange (la satura latine désigne à l’origine une sorte de salade faite de raisins secs, de polente et de pignons) : mélange de prose et de poésie, mélange de sérieux et de grotesque, que l’on peut résumer par le concept grec de σπουδογέλοιον / spoudogéloion (le sérieux sous le rire). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’inspiratrice de tout le récit est censée être la divinité allégorique Satura, sorte de divinisation de ce genre littéraire, avec laquelle Martianus a des échanges assez vifs à certains moments du récit (Satura se moque par exemple du « nom de bête » de Martianus, puisque Capella signifie proprement « la petite chèvre »). On pourra donc ranger Martianus dans la lignée des grands auteurs antiques de satires ménippées, à la suite de Varron (auteur précisément de Satires Ménippées, dont nous ne conservons que d’infimes fragments), Sénèque (Apocoloquintose), Lucien de Samosate (Icaroménippe), Pétrone (Satyricon), ou encore Apulée (L’Âne d’or).

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Allégorie de la grammaire

Sans entrer dans des détails trop précis, on peut mentionner deux grandes dates de l’histoire du texte du De Nuptiis : 534 (la recension et la correction du texte par Securus Melior Felix), et le milieu du ixe siècle, qui marque l’essor du texte de Martianus dans les milieux intellectuels carolingiens, notamment sous l’influence de commentateurs comme Jean Scot Érigène. Malgré quelques mentions de Martianus chez des auteurs de l’Antiquité tardive (Fulgence, Grégoire de Tours), il semble que le texte n’ait guère été diffusé avant la renaissance carolingienne ; en revanche, à partir du milieu du ixe siècle, Martianus est abondamment copié dans les centres carolingiens, et acquiert une diffusion très importante : les livres de l’encyclopédie allégorique que constitue l’œuvre de Martianus sont utilisés dans les écoles carolingiennes, et abondamment commentés (voir les gloses de Jean Scot Érigène, de Martin de Laon et de Remi d’Auxerre, ou encore la traduction en vieux haut allemand par Notker Labeo, du monastère de Saint-Gall). Par la suite, l’œuvre de Martianus inspire de nombreux artistes, aussi bien dans le domaine littéraire (on trouve des allusions dans l’Heptateuchon de Thierry de Chartres, dans le Metalogicon de Jean de Salisbury, ou encore chez Dante, pour le motif du voyage céleste) que dans le domaine pictural, avec la popularité des représentations iconographiques des sept arts pendant tout le Moyen Âge et la Renaissance.

Malgré cette influence de premier ordre sur le Moyen Âge (en particulier sur le Haut Moyen Âge, avant le retour des grands textes philosophiques et techniques de l’Antiquité par le biais de l’empire Byzantin et de la culture arabe), Martianus est de nos jours méconnu : on gagnerait à le redécouvrir, à côté d’auteurs comme Macrobe et Boèce, pour mieux comprendre la transmission de la science, de la philosophie et des formes littéraires en général de l’Antiquité au Moyen Âge occidental.

 

 

Fidèle aux idées exposées par saint Augustin dans le De Doctrina christiana et le De Ordine, l’enseignement médiéval place la foi au centre de toute connaissance et les arts libéraux en propédeutique à l’étude de la théologie.

Les arts libéraux constituent un programme d’enseignement qu’on appellerait aujourd’hui « secondaire ». Hérités de l’Antiquité (où ils regroupaient les disciplines dignes de l’homme libre), les sept arts sont distribués en deux cycles :

le trivium grammaire, rhétorique et dialectique (les sciences du langage),
le quadrivium : arithmétique, géométrie, musique (équilibre physique des choses) et astronomie (les disciplines scientifiques).

C’est selon cette répartition du savoir et du « savoir-dire » que Martianus Capella rédigea son oeuvre principale (vers 400), le De Nuptiis Mercurii et Philologiæ (« Les Noces de Mercure et de Philologie »). Véritable manuel scolaire, cet ouvrage, où chaque science est personnifiée, fut la base de l’enseignement des écoles monastiques carolingiennes, complétée par les réaménagements et les enrichissements apportés au VIe siècle par Cassiodore (Institutiones) et Boèce.

Au VIIe siècle Isidore de Séville reprend ces disciplines, mais, à travers un classement thématique des connaissances, il élargit les domaines du savoir, composant la première encyclopédie (Ethymologiæ) qui servira de référence aux compilateurs et de livre de chevet aux clercs jusqu’au XVIe siècle.

 

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