Arabion prouve par son nom l’arabisation de l’Afrique

 

Beaucoup connaisse la formidable épopée du Roi numide Massinissa, mais peu connaisse ses fils et encore moi le célèbre Arabion, son nom d’origine punique renvoi clairement à une origine sémite et rappel combien la Numidie était encore très influencé par la culture et la religion de l’ancien envahisseur phénicien. Nous savons par exemple que la langue punique était la langue d’état sous Massinissa utilisé dans la cour royale, bien que farouchement opposé à la domination étrangère phénicienne, les 8 siècles de colonisation punique ont marqué le paysage culturel et religieux. Les autres fils de Massinissa avaient des prénoms puniques et non libyques. Mais quelle influence? Peut-on parler d’influence arabe ou du moins sémite? Nous le pouvons car nous savons par exemple que l’alphabet punique était un cousin de l’alphabet hébreux et arabe, nous savons aussi que la religion carthaginoise était très proche de celle des Arabes d’avant l’islam, qu’ils partagent une même matrice civilisationnelle.

Ainsi il n’est pas étonnant de voir les fils de Massinissa porter des noms sémites de l’époque, de la même façon qu’au moyen-age nous avons vu des Rois libyens donner des noms arabes à leurs enfants. En faite il faut savoir que la révolte des peuples libyens dans un premier temps ne signifie pas la fin immédiate et brutale de l’influence de l’envahisseur, mais celle-ci est progressive, il faut attendre au moins une ou deux générations pour clairement émerger de l’étau civilisationnel créer par l’ancien colonisateur. Et même cela n’efface pas tout, les Libyens d’Hespérie ont longtemps continué a adorer des Dieux puniques après le départ des Phéniciens, le même phénomène est entrain de se produire avec l’islam. Ce que nous devons par contre en tirer comme leçon, c’est que d’un point de vu historique, l’arabisation a commencé bien avant l’arrivé de l’islam, les Phéniciens ont déjà participer à ce phénomène de corruption civilisationnelle sémite de notre identité.

 

Mais qui est Arabion?

 

Arabion (en libyque : [A]mastanSosen, MSTNSSN) est un roi de Maurétanie, d’origine Massyle, ayant régné en 44-41 av. J.-C. Il est le fils de Massinissa II.

 

Etymologie :

Le nom ou surnom d’Arabion paraît bien d’origine punique. On peut y reconnaître la racine « rab » qui en phénicien comme en hébreu a le sens de Chef, Grand (Jérémie 39, 3 et 13 ; Esther 1, 8, 11, Rois 18, 19 ; Isaïe 36 et 37). En araméen « rab» peut également signifier « gouverneur» (Daniel 2,10) et chef d’une catégorie professionnelle (chef des magiciens, des devins, des astrologues, Daniel 5, 11). Ce dernier sens apparaît sur de nombreuses stèles puniques, nous retiendrons en particulier, puisqu’elles sont proches du territoire d’Arabion, celles de Cirta (A. Berthier et R. Charlier, Le sanctuaire punique d’El Hofra à Constantine, 1955, stèles n° 65 à 67, 74 à 77, 82 à 84).

Mais il existe également en hébreu la racine ‘arabh qui est apparemment plus proche du nom d’Arabion ; cette racine a le sens de « peuples mêlés», elle s’applique en particulier aux nomades du désert et, à partir d’Isaïe, aux Arabes qui lui doivent leur nom.

On ne peut cependant rattacher le nom d’Arabion à cette ethnie, il est plus simple d’expliquer la présence de la marque A (masculin singulier) au début du nom par une berbérisation du terme punique (S. Chaker, Onomastique berbère*, cahier n° 7). A-rabi(o) devrait donc signifier simplement : le maître, le chef. Rab est l’équivalent du libyque Mess sur lequel est construit le nom de Messinissen (« leur maître») dont les latins ont fait Massinissa. Ainsi Arabion portait effectivement le même nom que son père ; c’est la proposition qu’avait faite J. Mazard pour étayer une hypothèse numismatique qui s’est avérée fausse.

 

Biographie :

Après la victoire de Jules César à la bataille de Thapsus en 46 av. J.-C., il est privé de son royaume qui est partagé entre le roi berbère de Maurétanie Bocchus II et le romain Publius Sittius. Le royaume de son père devait s’étendre sur l’actuelle petite-Kabylie, sur la région comprise entre la Sava (Oued Soummam) et l’Ampsaga (Oued el Kebir), Sittius qui obtint la meilleure part, c’est-à-dire la région orientale, plus urbanisée. Sittius et ses compagnons occupèrent en outre Cirta qui avait fait partie du royaume de Juba Ier. On sait, en effet, que l’attaque conduite contre cette place par Sittius suffit à provoquer le retour précipité de Juba en Numidie pendant les opérations autour de Ruspina (janvier 46 av. J.-C). Le Bellum africum (XXV, 2-3) dit que Bocchus et Sittius pénétrèrent directement dans les états de Juba en venant de Maurétanie, comme si les territoires soumis à Massinissa faisaient intégralement partie du royaume numide. Le fait même que Cirta et une partie du territoire de Massinissa aient été réunis sous la domination de Sittius et de ses compagnons nous semble confirmer cette opinion. Le territoire de Massinissa ne nous paraît pas avoir constitué un véritable royaume indépendant, ce qui expliquerait l’absence de types monétaires au nom de ce « roi » et de son fils (voir infra). Toutefois Appien donne bien le titre de roi à Arabion (IV. 54).

Arabion s’enfuit alors en Hispanie avec les Pompéens survivants, mais le meurtre de César donne cependant lieu en Afrique du Nord à des luttes confuses pour le pouvoir auxquelles Arabion prend une part active. Revenu d’Hispanie en l’an 44 av. J.-C., il tue Sittius, et repousse Bocchus II vers l’Ouest, sans doute jusqu’à la vallée de la Soummam en Kabylie, et récupère ainsi son royaume1. Il ne parvient pas cependant à arracher Cirta (Constantine).

Pendant ce temps les gouverneurs de l’Africa Vetus et de l’Africa Nova (province d’Afrique), sont paralysés par leurs désaccords et finissent par entrer en lutte ouverte à la fin de l’an 43 av. J.-C. après la constitution d’un nouveau triumvirat (Octave, Marc Antoine, Lépide). Dans ce conflit entre Q. Cornificius, gouverneur de l’Africa Vetus et T. Sextius gouverneur césarien de l’Africa Nova, Arabion prend le parti de ce dernier qui l’emporte grâce au ralliement d’Arabion. Mais bientôt Sextius entre en lutte avec C. Fuficius Fango, partisan d’Octave, et, se méfiant d’Arabion le fait mettre à mort en l’an 41 av. J.-C.2. Bocchus II et les Sittiani de Cirta récupèrent alors les territoires qu’Arabion leur avait repris en 44 av. J.-C.

 

Littérature :

Arabion est cité dans “Histoire romaine – Les guerres civiles, livre IV” d’Appien d’Alexandrie.

« […]Cette région de l’Afrique que les Romains prirent aux Carthaginois, ils l’appellent encore la vieille Afrique. La partie qui appartenait au roi Juba, et qui fut prise par Caius César plus tard, ils l’appellent pour cette raison la nouvelle Afrique; on peut aussi l’appeler l’Afrique numidienne. Donc Sextius, qui, nommé par Octave, avait la charge de la nouvelle Afrique, somma Cornificius de lui laisser la vieille Afrique parce que tout le pays avait été donné à Octave lorsque les triumvirs découpèrent l’empire. Cornificius répondit qu’il ne reconnaissait pas cette attribution que les triumvirs avaient faite par eux-mêmes, et que puisqu’il avait reçu le gouvernement du sénat il ne le rendrait à personne sans l’ordre du sénat. Ce fut l’origine des hostilités entre eux. Cornificius avait l’armée la plus forte et la plus nombreuse. Celle de Sextius était plus agile bien qu’inférieure en nombre : grâce à cela il put l’emporter et détacher de Cornificius les régions de l’intérieur jusqu’à ce qu’il fût assiégé par Ventidius, un lieutenant de Cornificius, qui s’attaqua à lui avec des forces supérieures et à qui il résista vaillamment. Laelius, un autre lieutenant de Cornificius, ravagea la province de Sextius, s’installant devant Cirta, il en fit le siège. Tous les deux envoyèrent des ambassadeurs pour demander l’alliance du Roi Arabion et de ceux qu’on appelait Sittiens, qui reçurent ce nom dans les circonstances suivantes. Un certain Sittius, qui était accusé à Rome, s’enfuit pour éviter le procès. Rassemblant une armée d’Italie et d’Espagne, il passa en Afrique, où il s’alliait tantôt avec l’un tantôt avec l’autre des rois qui se faisaient la guerre de ce pays. Comme ceux qui se joignaient à lui étaient toujours victorieux, Sittius acquit de la réputation et son armée devint fort efficace. Quand Caius César poursuivit les partisans de Pompée en Afrique Sittius le rejoignit et mit en déroute un général célèbre de Juba, Saburra, et il reçut de César, comme récompense pour ces services, le territoire de Masinissa, non en entier, mais la meilleure partie. Masinissa était le père de cet Arabion et l’allié de Juba. César donna son territoire à ce Sittius, et à Bocchus, le roi de la Mauritanie, et Sittius divisa sa propre part à ses soldats. Arabion à ce moment-là s’enfuit chez le fils de Pompée en Espagne, mais revint en Afrique après la mort de César et continua à envoyer des détachements de ses hommes au plus jeune fils de Pompée, que celui-ci renvoyait après les avoir bien formés, et ainsi il expulsa Bocchus de son territoire et tua Sittius par ruse. Bien que pour ces raisons son coeur penchât pour les partisans de Pompée, il décida néanmoins de s’opposer à ce parti, parce qu’il n’avait pas de chance, et rejoignit Sextius, grâce auquel il acquit les faveurs d’Octave. Les Sittiens le rejoignirent également en raison de leur amitié pour César l’Ancien.

Ainsi Sextius reprenant courage fit une sortie lors de laquelle Ventidius fut tué et son armée s’enfuit en déroute. Sextius la poursuivit, la massacra et fit des prisonniers. Quand Laelius apprit la nouvelle il leva le siège de Cirta et rejoignit Cornificius. Sextius, enhardi par son succès, s’avança contre Cornificus lui-même à Utique et campa en face de lui, bien que ce dernier ait des forces supérieures. Cornificius envoya en reconnaissance Laelius avec sa cavalerie, et Sextius ordonna à Arabion de l’attaquer avec sa propre cavalerie, et Sextius lui-même avec ses troupes légères attaqua le flanc de l’ennemi et les mit dans une telle confusion qui Laelius, bien qu’invaincu, craignit que sa retraite soit coupée et s’empara d’une colline voisine. Arabion attaqua ses arrières, en tua beaucoup et encercla la colline. Cornificius voyant cela fit une sortie avec la plupart de ses forces pour aider Laelius. Sextius, qui était sur ses arrières, se précipita et l’attaqua, mais Cornificius se retourna sur lui et le repoussa en perdant beaucoup d’hommes.

Pendant ce temps Arabion, avec quelques hommes s’insinua sans se faire voir à travers les rochers escarpés, escaladant un précipice jusqu’au camp de Cornificius. Quand le camp fut pris, Roscius qui le gardait offrit sa gorge à un de ses écuyers et se tua. Cornificius, fourbu par l’engagement, de retira vers Laelius sur la colline, ne sachant pas encore ce qui était arrivé à son camp. Tandis qu’il se retirait la cavalerie d’Arabion le chargea et le tua, et quand Laelius, regardant vers le bas de la colline, vit ce qui s’était produit il se suicida. Comme leurs chefs étaient morts les soldats s’enfuirent de tous les côtés. Des proscrits qui se trouvaient avec Cornificius, certains partirent en Sicile, d’autres cherchèrent refuge partout où ils le pouvaient. Sextius donna beaucoup de butin à Arabion et aux Sittiens, mais il fit passer les villes à Octave et leur accorda à tout le pardon. Ce fut la fin de la guerre en Afrique entre Sextius et Cornificius, qui sembla de peu d’importance en raison de la rapidité avec laquelle elle se fit. »

 


Source :

G. Camps, Les derniers rois numides Massinissa II et Arabion; BAC (Bulletin archéologique des Travaux Historiques, Paris, n.s., 1981 et 1984.
G. Camps, « Arabion », Encyclopédie berbère, 6 [archive] | Antilopes – Arzuges, Aix-en-Provence, Edisud, 1989, p. 831-834

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