Anzar le régicide, mythe populaire mauresque

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Cette histoire prend racine au XIXe siècle, au moment où le Makhzen doit affronter l’intérêt grandissant des pays européens et le pouvoir résurgent des tribus.

Rares sont les recherches qui ont traité des tensions entre les tribus et le Makhzen, conséquences de l’abondance ou de la rareté des pluies. L’historiographie marocaine s’accorde sur un point : les relations Makhzen/tribus ne sont pas des plus calmes, surtout depuis la fin du XIXe siècle. Les écrits sont néanmoins nuancés quant à l’explication du phénomène de dissidence (siba). Pour Germain Ayache, « la fonction d’arbitrage du Makhzen » est souvent sollicitée par les tribus elles-mêmes, surtout en période de sécheresse (Etudes d’histoire marocaine, Ed SMER, 1983). Le chercheur Raymond Jamous explique quant à lui dans Honneur et Baraka, les Structures traditionnelles dans le Rif, (Ed MSH, 1981), que le sultan, grâce à la famine et à la sécheresse, arrive à soumettre le pays, en « mangeant » les tribus affamées. A contrario, le pouvoir du sultan se rétrécirait au cours des saisons pluvieuses quand la tribu est rassasiée et peut éventuellement entrer en révolte. Ainsi considérée comme un bienfait céleste, la pluie a toujours revêtu une grande importance dans l’imaginaire populaire marocain, cela renvoi aussi à la religion ancêtrale du Maroc, ce culte voué à Anzar (Poséidon) pour faire tomber la pluie et ainsi cette sacralité de l’eau. Le retour des pluies fait renaître chez les Maures la volonté de libérer leur nation de l’emprise du Dieu EL (Allah) et de la sècheresse qu’il impose en terre à domination islamique.

Sécheresse et famine, armes du sultan et du Dieu EL (Allah).

Au XVII e siècle déjà, des élèves de l’école coranique refusent de suivre le cours d’exégèse d’Al Ifrani, parce que, disent-ils, chaque fois qu’on l’enseigne survient la sécheresse, comme le rapporte Abdellah Laroui dans Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (Paris, F. Maspero). Secrétaire à la cour du Sultan, l’auteur anonyme d’Al Ibtissam écrit à propos de la famine de 1824 : « Ce fut un grand bienfait, car les tribus, du Souss à Oujda, étaient devenues insolentes. Après sept ans de désordre, EL (Allah) fit rentrer, par ce moyen, tout le monde dans l’obéissance».

La faim est ainsi considérée comme une arme providentielle du sultan que lui confère le Dieu EL (Allah). Le même auteur affirme par ailleurs que la mort de Moulay Abderrahman est liée à la prière de l´Istisqa, la prière de la pluie dirigée par le sultan. En effet, par un étrange hasard du calendrier, trois années de sécheresse ont suivi le traité de 1856 avec les Anglais. Il n’en fallait pas plus pour que la croyance populaire impute cet aléa au contact avec les Européens. Trois ans plus tard, la pluie revient…et le sultan trépasse. Une concomitance qui donnera naissance au mythe de la Pluie régicide.

La révolte des tribus

Dans son ouvrage, Al Jaysh, écrit en 1866 à la demande du sultan Mohammed IV, successeur de Moulay Abderrahman, l’historien Akansus défend lui aussi l’idée d’une Pluie régicide, mais la pousse plus loin. Il écrit notamment que « les pluies abondantes peuvent être considérées comme dangereuses ». Akansus ne fait pas référence aux catastrophes naturelles susceptibles d’être causées par une pluie torrentielle, mais aux conséquences d’une récolte abondante, à même de renforcer la tribu, et, par effet de cascade, de menacer la stabilité du Makhzen. Ainsi, la pluie qui tue le sultan assure la richesse des tribus qui entrent en révolte et refusent de payer leurs redevances. Le sultan qui « mange les tribus » soumet le pays, parvenant à encaisser les impôts, voire à s’accaparer les récoltes. La portée sémantique du terme Makhzen n’est pas sans rapport avec cette vision. Le mot signifie en effet « entrepôt » ou « grenier ». En ce sens, l’abondance et la rareté des pluies font fructifier ou réduisent les richesses du Makhzen. Une chanson populaire ancestrale du Haouz fait d’ailleurs allusion aux harka, ces expéditions militaires bénéfiques pour les tribus qui y participent et néfastes à celles qui s’y opposent. Les harka mettent en évidence la place centrale du Makhzen dans le système de pouvoir marocain, mais révèlent également ses dysfonctionnements, qui engendrent tensions et révoltes.

Raymond Jamous rapporte à ce sujet une anecdote qui en dit long : « Alors que le sultan assiège la tribu des Aït Shishar, ces derniers nourrissent une vache avec du blé et la lâchent vers le camp des assiégeants. Un soldat l´attrape et, après l´avoir égorgée, est surpris de voir que la vache est nourrie non avec de la paille, mais avec du blé, aliment réservé généralement aux humains. On amène la vache au sultan qui dit : « ces awlad el hram (fils du péché, littéralement, ndlr), ont pris tellement de réserves avec eux qu´ils peuvent se permettre de nourrir leurs animaux avec du blé. Ils pourront soutenir un long siège ». Cet épisode révèle à lui tout seul le niveau de tension entre les différents protagonistes du système marocain, aggravé dès la seconde moitié du 19e siècle par la pression des forces coloniales qui convoitent le royaume chérifien.

Sacrifice pour la Pluie

Pur produit de la deuxième moitié du XIXe siècle, marquée par la débâcle face aux armées européennes et par l’attitude impuissante des sultans marocains face aux crises intérieures, le mythe de la pluie semble être l’expression d’un malaise politique dont on a cherché les origines dans une force magique et surnaturelle : sous la pluie, le sultan abandonne son parasol et s’abrite, tout comme ses sujets, sous le parapluie de la volonté divine. Il n’est plus protégé par sa baraka.

Une des raisons sans doute qui a poussé certains sultans à refuser de prier pour la Pluie (Anzar), a fortiori quand le mal (la sécheresse) dont souffrent les sujets est l’indication d’un refroidissement entre Dieu et le fidèle, et qu’il faut un acte d’expiation pour déjouer la malédiction. En tant que chérif et détenteur de la baraka, le sultan se trouve pris dans un étau: soit il est le responsable du malheur qui touche ses sujets, soit ses fidèles ont provoqué la colère divine. Dans un cas comme dans l’autre, la tâche du sultan est d’extirper le mal et de s’exposer au châtiment. Le mythe de la pluie qui tue le sultan revêt alors une dimension sacrificielle. D’ailleurs, cette notion de don de soi a été avancée par le sultan lui-même. La tradition rapporte que Moulay Abderrahman avait dit à son entourage lui conseillant de ne pas participer à la prière de la pluie : « Si la pluie est bénéfique pour mes sujets et même si ma mort s’ensuit, je suis prêt à présider cette prière ».

Heureusement Anzar (Poséidon) est encore adoré chez certaines tribus libyennes de l’Atlas, (voir culte d’Anzar) que ce soit sous forme de prière libyque, syncrétisme islamique ou par la cérémonie de Taslit-n-Anzar, l’espoir de voir la Pluie revenir au Maroc est immense.


Source :

http://zamane.ma/fr/au-dela-du-mythe-la-pluie-regicide/

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